C’est un arrêt très important que vient de rendre le 19 mai 2021 la première chambre civile de la Cour de cassation en matière de fixation du point de départ du délai de prescription en paiement d’une facture.
Petit rappel juridique et historique: le délai de prescription est le délai durant lequel un créancier peut demander en justice la condamnation de son débiteur à payer sa créance. Après l’expiration de ce délai, c’est trop tard, et l’action en justice du créancier est alors irrecevable. Ce délai est de 5 ans pour les actions en paiement entre professionnels, et pour les actions des consommateurs contre un professionnel. Il est en revanche de 2 ans pour les actions en paiement des professionnels dirigées à l’encontre d’un consommateur.
Mais quel est le point de départ de ce délai de prescription?
Jusqu’au 26 février 2020, la Cour de cassation estimait que ce délai commençait à courir à compter de l’émission de la facture du créancier.
Mais par une décision du 26 février 2020, la plus haute cours de l’ordre judiciaire a opéré un revirement de jurisprudence, estimant, pour une action diligentée par un professionnel du bâtiment contre son client (une société civile immobilière, qui n’a pas le statut de consommateur), que le délai de prescription de 5 ans avait commencé à courir à compter de l’achèvement de sa prestation, « peu important la date à laquelle [le créancier] avait décidé d’établir sa facture ».
La solution jusqu’alors retenue par la Cour de cassation avait en effet l’inconvénient majeur de permettre au créancier de repousser à sa guise le point de départ du délai de prescription, simplement en s’abstenant d’éditer la facture.
La Cour de cassation a donc jugé que, dès lors que la législation impose au vendeur de délivrer sa facture dès la réalisation de la prestation de service (sic), « l’obligation au paiement du client prend naissance au moment où la prestation commandée a été exécutée »: inutile donc d’attendre que la facture soit éditée et envoyée au débiteur pour savoir que celui-ci doit payer, et combien.
Cette décision avait été rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un litige opposant deux professionnels.
Il restait à savoir quel sort allait être réservé aux litiges opposant un professionnel à un consommateur, le délai de prescription étant dans cette hypothèse de seulement deux ans, donc beaucoup plus court.
C’est l’objet de la décision que la Cour de cassation vient de rendre le 19 mai dernier: la première chambre civile de cette juridiction se rallie à la jurisprudence de la chambre commerciale, et décide donc que le délai de prescription de deux ans pour les actions en paiement des professionnels à l’encontre d’un consommateur ne court pas à compter de l’émission de la facture, mais à compter de l’exécution de la prestation de services matérialisée, dans cette affaire, par un procès-verbal de réception de travaux avec réserves (il s’agissait de la construction d’une maison).
Mais la Cour de cassation apporte toutefois un bémol important: comme il s’agit d’un revirement de jurisprudence de nature à rendre irrecevables des demandes en paiement pourtant recevables avant ce revirement, la Cour de cassation module sa décision dans le temps, et décide que cette nouvelle règle ne s’appliquera que pour l’avenir.
Il en résulte que, pour les prestations exécutées et facturées avant ce revirement de jurisprudence du 19 mai 2021, le délai de prescription de deux ans pour les actions des professionnels à l’encontre d’un consommateur continue à courir à compter de l’émission de la facture, et non pas de l’exécution de la prestation de services.
Nul doute que cette solution est beaucoup plus juste et avantageuse pour les consommateurs, à défaut toutefois d’être plus simple: en effet, à l’avenir, les juges vont devoir trancher la question de savoir qu’est-ce qu’une prestation exécutée…
Nous avons déjà un premier exemple grâce à l’arrêt du 19 mai 2021: un PV de réception, même accompagné de réserves, est synonyme d’exécution de la prestation, et marque donc le point de départ du délai de prescription.
Affaire à suivre donc.