Véhicule et vice caché : la piqûre de rappel de la Cour de cassation

Un rapport d’expertise amiable et un constat d’huissier ne faisant que corroborer ce rapport ne suffisent pas à démontrer l’existence d’un vice caché.

L’acquéreur d’un véhicule affecté d’un vice caché peut-il faire condamner son vendeur sur la base d’un rapport d’expertise amiable d’assurance ?

Après de longues tergiversations, la Cour de cassation avait mis fin à toute discussion par un arrêt de sa chambre mixte du 28 septembre 2012, en jugeant que le juge ne pouvait « se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties ».

Mais il est vrai que, si cette décision apparaît conforme au respect des droits du vendeur du véhicule à qui l’acheteur oppose un rapport établi par un expert mandaté par son propre assureur (donc peut-être partial), elle n’est pas sans poser des difficultés en matière de coût et de lourdeur procédurale, surtout dans des litiges à faible enjeu financier.

Car pour que la démonstration du vice caché soit probante dans un domaine aussi technique que l’automobile, une seule solution s’impose : l’expertise judiciaire.

Par cette procédure, l’acheteur du véhicule demande au Juge des référés la désignation d’un expert judiciaire, impartial (il a prêté serment devant la Cour d’Appel en ce sens).

Il s’agit de la première étape du chemin de croix de l’acheteur, étape normalement relativement rapide (tout est relatif) : comptez entre trois et six mois pour avoir une ordonnance du juge désignant un expert judiciaire et… 2.000 à 4.000 euros en moins sur votre compte épargne, pour payer la consignation des honoraires de l’expert (à AGEN, actuellement la consignation s’élève généralement à 3.000 euros).

Car tout cela n’est pas gratuit ! Mieux vaut donc avoir une bonne assurance de protection juridique qui paiera la consignation pour l’expert à votre place, et accessoirement également au moins une partie de vos frais d’avocat…

Une fois désigné, l’expert judiciaire se rend sur les lieux du véhicule avec toutes les parties, puis procède à l’expertise du véhicule, et dépose enfin son rapport définitif.

Comptez généralement entre quatre mois à un an, selon la difficulté du dossier et le nombre de parties, depuis la désignation de l’expert jusqu’au dépôt du rapport.

Enfin, une fois le rapport déposé, à défaut de résolution amiable du litige, l’acheteur doit à nouveau saisir le tribunal pour voir condamner son vendeur sur le fondement du rapport d’expertise judiciaire et de la garantie des vices cachés : comptez cette fois, selon le nombre de parties, entre un et deux ans pour obtenir un premier jugement de condamnation.

Au regard de ce qui précède, de la longueur d’une telle procédure et de son coût, l’on comprend mieux que certains acheteurs victimes et certaines juridictions essayent de faire avec les preuves qu’ils ont déjà, en premier lieu un rapport d’expertise d’assurance, sans passer par l’expertise judiciaire, même si cela va dans le sens contraire de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Plus exactement, la Cour de cassation ne ferme pas la porte à toute valeur probatoire du rapport d’expertise d’assurance amiable : elle refuse en revanche de considérer qu’il puisse s’agir de l’unique preuve pour démontrer le vice caché. Mais si le rapport amiable est corroboré par d’autres éléments de preuve, alors le vice caché peut être considéré comme démontré.

Certains acheteurs de véhicules malheureux – suivis en cela par certains tribunaux et cours d’appel – tentent donc de se faufiler dans cette brèche, mais donnent malheureusement à un rapport d’expertise amiable davantage de crédit probatoire que ne lui donne la Cour de cassation.

La Cour d’appel de GRENOBLE vient de se le faire rappeler par la Cour de cassation via une décision du 5 octobre 2022.

Une société avait acquis un véhicule affecté d’un vice caché.

Connaissant sans doute la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, elle s’était munie, en plus de son rapport d’expertise amiable d’assurance, d’un constat de l’état du véhicule litigieux réalisé par voie d’huissier, pour saisir directement le tribunal aux fins de condamnation du vendeur, sans donc passer par une expertise judiciaire.

A tort.

Après avoir rappelé que « le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties », la Cour de cassation, qui constate que le constat d’huissier communiqué par le vendeur avait été « établi avec l’assistance de l’expert amiable lui-même » et se bornait à corroborer « le rapport de cet expert quant à la cause des dommages et à l’existence d’un vice caché au moment de la vente », casse l’arrêt d’appel.

En clair : un constat d’huissier qui ne fait que constater, qui plus est en compagnie de l’expert amiable, les défauts présents sur le véhicule et listés dans le rapport de cet expert, n’est pas considéré comme un élément de preuve suffisamment distinct du rapport amiable pour établir l’existence du vice caché.

La question est donc alors : quel type de constat d’huissier permettrait d’échapper à l’obligation pour le vendeur de faire désigner un expert judiciaire ?

Car un rapport d’huissier n’a pour objet, par définition, que de constater des défauts afin de corroborer la thèse de l’expert amiable, et au travers de celui-ci, celle de l’acheteur relative à l’existence d’un vice caché.

La décision de la Cour de cassation aurait-elle été différente si l’expert amiable n’avait pas assisté au constat d’huissier ? Nous ne le pensons pas.

Il est donc vivement conseiller à l’acquéreur d’un véhicule affecté d’un vice caché se prémunir d’éléments suffisamment probants et sans lien les uns avec les autres, et en particulier sans lien avec le rapport de l’expert d’assurance, s’il veut espérer pouvoir contourner l’expertise judiciaire.

Dans le cas contraire, il s’expose à ce que son adversaire invoque l’inopposabilité à son égard du rapport d’expertise amiable et l’absence de preuve du vice caché, ce que la juridiction saisie devrait normalement confirmer.

Gilles HAMADACHE

Avocat Généraliste

Le cabinet de Maître Gilles HAMADACHE est un cabinet d'avocat généraliste basé à AGEN dans le sud-ouest. Maître HAMADACHE saura vous apporter toute son expertise et son savoir faire dans la défense de vos intérêts contre toute sorte de professionnels (banques, organismes de crédits, assurances, artisans...). A côté du droit de la consommation, de la responsabilité civile et des contrats, Maître HAMADACHE développe également une activité de conseil aux entreprises étrangères (en particulier allemandes) qui émettent le souhait de s'implanter en FRANCE.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.