Le rapport rédigé par le comité des Etats généraux de la justice, qui ne sera officiellement déposé qu’en juillet, mais dont le journal « Le Monde » pu se procurer une copie et qui a fait l’objet d’un article de ce journal le 10 juin dernier, interpelle.
Il dresse en effet un constat aussi réel qu’accablant sur la justice. A tel point que l’on est légitimement en droit de se demander, vu l’ampleur des recommandations préconisées, si lesdites recommandations seront suivies d’effets, ou si au contraire le rapport tombera aux oubliettes, comme de nombreux rapports avant lui.
Ainsi, par exemple, il est recommandé d’embaucher 1.500 magistrats du siège et du parquet dans les 5 années à venir, outre 2.000 juristes assistants supplémentaires, le besoin en greffiers supplémentaires se situant quant à lui dans une fourchette de 2.500 à 3.000.
Bien que l’embauche supplémentaire de 1.500 magistrats correspondrait tout de même à une augmentation de presque 17% des effectifs, celle-ci est qualifiée de « minimale » par le rapport…
C’est dire l’état de la justice, déjà dénoncé à plusieurs reprises dans nos lignes.
Autre commentaire particulièrement d’actualité: le rapport dénonce la « déjudiciarisation », cette politique qui consiste à soustraire au juge certains contentieux, pour des raisons purement comptables évidemment.
C’est ainsi, par exemple, que l’on a sorti de l’orbite du juge la procédure de divorce par consentement mutuel, laquelle se réalise désormais devant notaire.
De la même manière, depuis le 1er janvier 2020, pour tous les litiges dont l’enjeu financier ne dépasse pas 5.000 euros, vous devez obligatoirement justifier avoir tenté de vous concilier avec votre adversaire à l’aide d’un conciliateur ou d’un médiateur avant de saisir le juge. Dans le cas contraire, vos demandes seront d’office jugées irrecevables, sans autre forme de procès.
Ce qui n’interdit d’ailleurs pas le juge, lorsqu’il l’estime nécessaire dans les litiges dont l’enjeu financier est supérieur à 5.000 euros, de vous imposer d’aller en médiation !
En d’autres termes: plutôt que d’embaucher davantage de juges pour faire face au contentieux à traiter, enlevez-leur le contentieux en question. Telle est la politique de tous les gouvernements depuis des décennies.
Sauf que cette politique, qui consiste à déléguer à une justice privée (payante) des dossiers originellement de la compétence du juge, ne fonctionne pas.
Et pour cause : lorsque l’on sait qu’un médiateur facture sa prestation au minimum 200 euros HT l’heure (à se diviser généralement entre chaque partie), alors que le juge est gratuit, on peut comprendre que cela puisse poser quelques difficultés…
Autre point intéressant du rapport : une révision de la carrière des magistrats, en détachant le grade, c’est-à-dire l’ancienneté, de la fonction.
Cette mesure permettrait d’attribuer à des juges expérimentés des postes dans des juridictions de première instance, et non pas seulement dans les cours d’appel, ceci afin d’enrayer une baisse de la qualité des jugements qui se traduit par un taux d’appel en hausse de 50 % en dix ans…
Or, depuis 10 ans, force est de constater que nos dirigeants ont pris le problème exactement à l’envers.
En effet, pour tenter de faire face à cette recrudescence des recours devant les cours d’appel, ils ont tout fait pour décourager les justiciables de faire appel des jugements les concernant :
- D’une part, en complexifiant comme jamais les règles de la procédure d’appel, laquelle est désormais truffée de chausse-trappes uniquement dans un seul objectif : permettre à votre adversaire, ou à la cour d’appel elle-même qui peut se saisir d’office, de rendre votre appel irrecevable, sans même examiner le fond de l’affaire.
- D’autre part, en rendant les décisions de première instance exécutoires de plein droit à titre provisoire, malgré votre décision de faire appel. Conséquence : si vous n’exécutez pas votre condamnation prononcée par le tribunal, et sauf exception, votre adversaire est en droit de bloquer la procédure d’appel aussi longtemps que cette exécution n’aura pas eu lieu. Autant dire que, si vous n’avez pas les moyens financiers d’exécuter votre condamnation, vous aurez peu de chance de voir un jour la cour d’appel se pencher sur votre litige… Moralité : plus la qualité des jugements baisse, plus on vous oblige à exécuter ces jugements avant de faire appel : logique, non ?
Attendons donc de voir les suites que le gouvernement donnera à ce rapport du comité des Etats généraux de la justice, avec un peu d’espoir, sans trop de naïveté, et une résignation mesurée.
Gilles HAMADACHE