Mardi 12 juillet 2022, aux termes de quatre arrêts, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions dans lesquelles les Procureurs de la République pouvaient exploiter les données téléphoniques et de localisation d’un justiciable durant une enquête pénale.
Dans plusieurs affaires de grande délinquance (meurtre et trafic de stupéfiants), des personnes mises en examen ont demandé l’annulation des réquisitions portant sur leurs données de trafic et de géolocalisation délivrées par les services d’enquête sous le contrôle du Procureur de la République, ainsi que l’annulation des actes d’exploitation de ces données.
Pour rappel, les données de trafic établissent les contacts d’une personne par l’exploitation de ses données de téléphones : date, heures des contacts et durée des échanges ; Les données de géolocalisation permettent, quant à elles, de connaître les zones d’émission et de réception par le biais des antennes relais.
Dans ces quatre affaires, les requérants contestaient l’accès et la conservation de leurs données téléphoniques, qu’ils jugeaient irréguliers au motif, d’une part, que la législation française obligeait les opérateurs à conserver pendant une année l’ensemble des données de connexion de leurs clients en vue de la recherche d’éventuelles infractions pénales, donc sans aucune distinction entre les infractions mineures et les infractions graves, et d’autre part, qu’un Procureur de la République ne présentait pas les garanties d’indépendance requises pour contrôler les droits des mis en examen en la matière.
Il est vrai que, dès lors que le Procureur de la République est impliqué dans la conduite de l’enquête pénale, il ne peut avoir une position de neutralité vis-à-vis du mis en examen : la question n’est pas nouvelle, et a été soulevée maintes fois par les instances de l’Union européenne, ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’interrogent depuis longtemps sur la place du ministère public dans la conduite de la procédure pénale française.
Pour autant, pendant longtemps, pour des raisons de protection des intérêts fondamentaux de la nation et de lutte contre le terrorisme, la conservation de ces données téléphoniques était généralisée et indifférenciée.
Ce n’est plus le cas depuis quelques mois.
En effet, la loi du 2 mars 2022 est venue progressivement encadrer la collecte et l’exploitation de ces données pour restreindre leurs utilisations à certains crimes et délits en fonction de la peine encourue, ou à des délits dont l’utilisation des moyens de communication a contribué au sort de la victime.
Mais la Cour de cassation va encore plus loin : elle impose désormais un contrôle poussé de la nécessité de l’accès à ces données de connexion.
Suite à cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, la Conférence Nationale des Procureurs de la République n’a pas tardé à régir, dénonçant exagérément « un obstacle majeur à l’identification des délinquants et criminels ».
En réalité, non seulement le revirement de la Cour de cassation, poussée en cela par le droit européen, n’est pas une surprise, mais contrairement à ce qu’affirme le communiqué de la Conférence Nationale des Procureurs, les critères fixés par la Cour de cassation ne constituent pas un obstacle à l’accès et la conservation des données, ceux-ci étant simplement plus encadrés.
Ainsi, il est désormais nécessaire que les faits en cause relèvent d’une criminalité grave, et que la conservation des données se fasse dans la limite du strict nécessaire.
Par sa décision, la Cour de cassation appelle le législateur à revenir sur la nécessaire réforme de la procédure pénale, l’enjeu étant d’imposer un véritable contradicteur aux Procureurs, en confiant au Juge des libertés et de la détention de réels outils pour contrôler l’accès aux données et, plus largement, pour protéger les droits des personnes mises en cause.
Toutefois, les Juges des libertés et de la détention auront-ils la capacité d’absorber cette masse de contrôle en plus ?
Rien n’est moins sûr.
Jean-François RENAUDIE