Contrats d’architecte: le conditionnement de la saisine du juge à une tentative de règlement amiable est-il abusif?

La clause figure souvent dans les contrats d’architecte et de maîtrise d’œuvre: en cas de litige, le client (que l’on appelle le maître de l’ouvrage), devra d’abord tenter une résolution amiable du litige par la saisine d’un conciliateur (en l’espèce le conseil régional de l’ordre des architectes) avant de pouvoir saisir le tribunal.

S’il ne suit pas cette procédure, et qu’il saisit directement la juridiction compétente, celle-ci doit-elle d’office, c’est-à-dire sans même que les parties le lui demandent, examiner le caractère abusif d’une telle clause de conciliation obligatoire si le maître de l’ouvrage est un consommateur (c’est-à-dire qu’il a conclu le contrat pour ses besoins d’ordre privé et non pas professionnel)?

Par ailleurs, si la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement de la responsabilité décennale (c’est-à-dire la responsabilité de plein droit des constructeurs), une telle clause de tentative de conciliation obligatoire est-elle, en tout état de cause, applicable?

C’est à cette double question que la Cour de cassation a été amenée à répondre dans deux arrêts rendus le même jours, le 11 mai 2022.

Dans la première affaire, la cour d’appel de DOUAI avait jugé irrecevables les demandes du maître de l’ouvrage, lequel avait saisi directement le tribunal sans passer par la conciliation contractuellement obligatoire.

La Cour de cassation lui rappelle que « la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive (…) de sorte qu’il appartient au juge d’examiner d’office la régularité d’une telle clause ».

Elle en déduit qu’en n’examinant pas d’office le caractère potentiellement abusif de cette clause, pourtant susceptible de constituer une entrave à l’accès au juge, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Dans la seconde affaire, la même clause litigieuse était concernée, mais l’angle d’attaque différent.

La cour d’appel d’ORLEANS avait – tout autant que celle de DOUAIS – jugé que le maître de l’ouvrage (en l’espèce un professionnel et non un consommateur) était irrecevable en ses demandes dirigées contre l’architecte, faute pour lui d’avoir saisi le conseil régional de l’ordre des architectes préalablement au tribunal, aux fins de tentative de conciliation.

Mais le maître de l’ouvrage répondait cette fois que cette clause ne pouvait lui être opposée dès lors qu’il recherchait la responsabilité de l’architecte sur le fondement de la garantie décennale.

La Cour de cassation casse là aussi la décision de la cour d’appel, et confirme l’argumentation du maître de l’ouvrage.

La haute cour juge en effet que la clause imposant la saisine de l’ordre des architectes préalablement à toute action judiciaire n’a pas vocation à s’appliquer dès lors que la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement de la garantie décennale (d’ordre public).

La Cour de cassation établit alors une distinction entre, d’un côté, une action en responsabilité contre l’architecte sur le fondement de la garantie décennale, dans le cadre de laquelle la clause litigieuse de saisine préalable d’un conciliateur ne s’applique pas, et de l’autre, une action en responsabilité contre ce même architecte sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, auquel cas la clause litigieuse a vocation à s’appliquer, sous réserve qu’elle ne soit pas jugée abusive si l’on a affaire à un maître de l’ouvrage qui a la qualité de consommateur (cf. l’arrêt précédent de la Cour de cassation):

« (…) la clause de saisine de l’ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur le respect des clauses du contrat, ne peut porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du code civil et n’a donc pas vocation à s’appliquer dès lors que la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement de l’article 1792 du même code »

En résumé, face à une telle clause, le maître de l’ouvrage doit se poser les questions suivantes avant d’engager une action judiciaire contre son architecte:

1/ S’il assigne l’architecte sur le fondement de la garantie décennale, alors la clause est, dans tous les cas, inapplicable, et il peut saisir directement le tribunal sans passer par la conciliation contractuelle préalable obligatoire.

2/ S’il assigne l’architecte sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, alors une subdivision supplémentaire s’impose:

a/ Soit le maître de l’ouvrage a la qualité de consommateur, et le tribunal doit, même d’office, statuer sur l’éventuel caractère abusif de la clause imposant le recours préalable à la conciliation.

b/ Soit le maître de l’ouvrage n’est pas un consommateur mais un professionnel, auquel cas la législation sur les clauses abusives ne s’applique pas à lui, et la clause imposant une conciliation obligatoire avant toute saisine du juge devrait logiquement être considérée comme valable.

Gilles HAMADACHE

Avocat Généraliste

Le cabinet de Maître Gilles HAMADACHE est un cabinet d'avocat généraliste basé à AGEN dans le sud-ouest. Maître HAMADACHE saura vous apporter toute son expertise et son savoir faire dans la défense de vos intérêts contre toute sorte de professionnels (banques, organismes de crédits, assurances, artisans...). A côté du droit de la consommation, de la responsabilité civile et des contrats, Maître HAMADACHE développe également une activité de conseil aux entreprises étrangères (en particulier allemandes) qui émettent le souhait de s'implanter en FRANCE.

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